dysplasie du coude
Aspects pratiques du dépistage de la dysplasie du coude chez le chien
Jean-Pierre GENEVOIS
Qualités diplômes : Professeur de Chirurgie, Département des Animaux de Compagnie, Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon, 1 Avenue Bourgelat, 69280 MARCY L’ETOILE, Membre de la sous-commission dysplasie de la SCC, expert de la commission d’appel de la SCC, expert de la FCI pour les appels trans-nationaux concernant la dysplasie des hanches et des coudes.
Introduction
La dysplasie du coude est moins connue que la dysplasie coxo-fémorale, d’où la nécessité de développer les principales caractéristiques de cette affection avant d’aborder son dépistage.
Définition : Le terme "dysplasie" désigne un trouble du développement (ou de la croissance) qui concerne un organe, un tissu ou un appareil. La dysplasie du coude fait l'objet d'une étude au plan international depuis 1989, à l'initiative de l'IEWG (International Elbow Working Group), qui regroupe des vétérinaires spécialisés en affections ostéo-articulaires, des généticiens, des éleveurs. L’IEWG a ouvert un site internet qui donne des explications (en anglais) au sujet de la DC et de son dépistage à l’adresse : www.vetmed.ucdavis.edu/iewg/iewg.html
On désigne sous l'appellation de dysplasie du coude 4 affections qui entraînent une altération (=dégradation) de la surface articulaire ou de la congruence articulaire (= conformation bien adaptée) entre les 3 os qui constituent l'articulation du coude : l'humérus, le radius et l'ulna (appelée cubitus chez l'homme). Ces quatre affections peuvent exister, chez un même animal, de manière isolée, ou être associées à des degrés divers.
Il s'agit de: - l'ostéochondrite disséquante (OCD), localisée essentiellement sur le condyle médial de l'humérus,
- la non-union du processus anconé de l’ulna (NUPA),
- la fragmentation du processus coronoïde médial de l’ulna (FPC),
- l'incongruence articulaire (IA).
On considère actuellement que ces affections sont responsables de la majorité des cas d'arthrose invalidante du coude observés chez le chien.
Symptômes : Les symptômes sont ceux d’une boiterie plus ou moins accusée d’un ou des deux membres antérieurs. Elle apparaît généralement vers 5 à 8 mois. Tous les animaux atteints d’une dysplasie du coude n’extériorisent cependant pas de manière précoce l’affection sur un plan clinique : certains ne seront gênés qu’au bout de plusieurs années, en raison de l’évolution arthrosique du coude, qui est quasi systématique. Les animaux les plus sévèrement atteints peuvent refuser l'exercice et demeurer assis ou couchés la majorité du temps, jouant moins longtemps que les animaux du même âge.
A l'arrêt, les chiens atteints placent fréquemment l'extrémité du membre en rotation externe. La mobilisation du coude est souvent douloureuse, notamment en hyper extension, mais l'absence de douleur ne doit pas faire exclure une DC, la douleur étant parfois discrète et peu exprimée chez certains sujets peu sensibles. Lors de FPCM ou d'OCD du condyle huméral médial, la palpation-pression du ligament collatéral médial, mis sous tension (coude et carpe fléchis à 90°, rotation externe de la main) est souvent douloureuse. Dans certains cas, l’articulation est légèrement tuméfiée, mais ceci est inconstant.
Epidémiologie : L'épidémiologie de la dysplasie du coude recouvre assez bien celle de la dysplasie de la hanche. Un individu atteint de dysplasie coxo-fémorale présenterait environ deux fois plus de risques d'être atteint d'une dysplasie du coude qu'un animal dont les hanches sont normales.
Toutes les races de grande et moyenne taille sont susceptibles d’être concernées par la DC.
En règle générale, c'est la FPC qui est rencontrée le plus fréquemment.des cas environ, l'affection est bilatérale.
Aspect héréditaire
Le caractère héréditaire de la dysplasie du coude (DC) a fait l'objet d'études très précoces. On peut dire que la situation est là encore comparable à celle de la dysplasie de la hanche. On estime que la transmission s'effectue selon un mode polygénique, et qu'elle relève donc de l'hérédité quantitative. Les mêmes "facteurs extérieurs" (ou "d'environnement") que ceux qui jouent un rôle dans l'expressivité de la dysplasie de la hanche se retrouvent également ici. Suralimentation, complémentation minérale excessive sont susceptibles d'augmenter le nombre d'individus dysplasiques au sein d'une portée "à risque" en facilitant l'expression "anatomique" de l'anomalie génétique.
Dans une étude portant sur une population "tout venant" (SWENSON et coll, JAVMA 1997) la fréquence de la DC passe de 31%, chez les chiots issus de deux parents indemnes, à 48% chez les chiots dont seul l'un des parents est indemne, et à 56% chez les chiots dont les deux parents sont affectés.
Des calculs d'héritabilité ont été effectués, qui traduisent la part respective des facteurs génétiques et des facteurs d'environnement dans la manifestation phénotypique [= anatomique] de l'affection. Pour Swenson & collaborateurs (rapport IEWG 1995), en se basant sur les seules OCD et FPC, l'héritabilité est comprise entre 30 et 40%. Guthrie & collaborateurs (JSAP 1990, 31, 93-96), en étudiant une population "fermée" trouvent, sur un effectif de 2489 mâles et de 2461 femelles, une héritabilité de 77% pour les mâles et de 45% pour les femelles.
Lutte contre l’extension de l’affection
Les observations décrites plus haut sont suffisamment convergentes pour qu'une politique de dépistage et de prévention de la DC soit préconisée. Il est recommandé d'écarter de la reproduction les animaux atteints de DC, ceux dont la descendance présente de la DC, et, idéalement, les animaux sains mais issus eux-mêmes de parents atteints de DC.
Des mesures prophylactiques ont été entreprises dès 1981 en Suède et 1984 en Norvège. En examinant les résultats suédois et norvégiens, on observe une nette diminution de l'incidence de la DC dans toutes les races concernées. Par ailleurs, il est intéressant de constater qu'en Suède, le nombre d'animaux issus de parents dont on ignore le statut parental vis-à-vis de la DC est passé de 21% pour le bouvier bernois et de 42% pour le rottweiler, en 1984, à 0% pour chacune de ces races depuis 1992.
En Suisse une politique de dépistage et d'éradication de la DC a été mise en route initialement pour le bouvier bernois (Rapport IEWG 1995). Le club a décidé en 1992 que tous les reproducteurs de moins de 5 ans devaient faire l'objet d'un dépistage. Seuls les individus indemnes ou de stade limite ont été autorisés à la reproduction. Ces derniers ont représentés 74% de l'effectif la première année, 26% des individus montrant des signes évidents de DC. Par ailleurs une publication bisannuelle officialise un classement des reproducteurs mâles en fonction du taux de DC retrouvé dans la descendance. La politique de dépistage de la DC a depuis lors été étendue au berger blanc, au berger allemand, à l’eurasier, au golden retriever, au leonberg et au terre-neuve.
En Grande Bretagne et en Allemagne, une politique de dépistage et d'éradication de la DC est également en place.
En France, depuis 1997, la Société du Chien de Berger Allemand, sous la responsabilité scientifique de Denise REMY, a institué un dépistage systématique pour les meilleurs sujets de la race. Le Club Français du Rottweiler et l’Association des Bouviers Suisses recommandent depuis 1999 à leurs adhérents respectifs d’effectuer un dépistage de la dysplasie du coude parallèlement au dépistage de la dysplasie coxo-fémorale. Quelques autres clubs de race emboîtent timidement le pas, mais il faut bien reconnaître que dans notre pays le dépistage de la DC reste encore confidentiel.
Dépistage
Comme exposé plus haut, et comme pour la dysplasie de la hanche, tous les animaux affectés d'une dysplasie du coude ne boitent pas forcément. Certains individus "compensent" remarquablement bien leur affection. On peut envisager un diagnostic de suspicion lorsqu'apparait une boiterie d'un ou des deux membres antérieurs chez un animal appartenant à une race à risque, dès l'âge de 5 mois. Il existe par ailleurs un certain nombre de "signes d'appel" qui ne sont pas pathognomoniques (= absolument spécifiques de l'affection) : rotation externe spontanée de la main lors de l'arrêt, gonflement des culs-de sac synoviaux, douleur à l'hyper- extension du coude, douleur lors de la flexion du coude si l'on place la main et le poignet de l'animal en rotation externe (mise en tension du ligament collatéral médial), douleur à la palpation du ligament collatéral médial lorsque le coude est dans la même position...
La confirmation de l'affection peut se faire par examen radiographique, arthroscopique, ou tomodensitométrique (scanner). Malgré la supériorité au plan du diagnostic individuel des deux derniers procédés, notamment en ce qui concerne la FPC, il est difficilement envisageable de les mettre en oeuvre dans le cadre d'une recherche systématique à grande échelle.
La radiographie est donc l'examen recommandé. L'âge recommandé pour pratiquer le dépistage est de 12 mois, sauf pour les races géantes (14 mois pour le bouvier bernois en suisse contre 18 mois en Norvège, 18 mois pour le terre neuve en Norvège). Il est impératif de radiographier systématiquement les deux coudes d'un même animal. La position fait appel à 3 incidences : médio-latérale ("profil") en flexion, médio-latérale ("profil") en extension, face avec rotation interne de l’avant-bras et de la main. Chez le berger allemand, le cliché correspondant au dernier positionnement est devenu optionnel, bien que largement recommandé par le lecteur du club. L'identification des clichés est du même type que celle qui est demandée pour les clichés de dépistage de la dysplasie de la hanche. Les radiographies doivent être d'excellente qualité, et le positionnement satisfaisant pour permettre une interprétation. Il faut noter que la fragmentation du processus coronoïde (FPC) peut ne pas être visible, même sur de bonnes radiographies.
Une grille à 5 niveaux de classification (coude normal = absence de DC, stade limite, dysplasie du coude de stade I, II, III) est utilisée pour classer l'animal. Elle repose sur la présence d'une des 4 affections citées plus haut, et/ou sur l'importance des signes d'arthrose. La reconnaissance au plan européen de cette grille de notation vient d’être confirmée lors d’une réunion internationale organisée par la FCI et l’IEWG à Munich en septembre 2005. Cette réunion a également permis de démontrer que la fiabilité du dépistage repose sur le nombre de sujets radiographiés au sein d’une race, et sur le nombre d’incidences utilisées.
Conclusion
Même si certains peuvent (à juste titre) être inquiets de l'adjonction de cette nouvelle affection à la liste déjà longue des affections dont il convient d'éviter l'extension, l'absence de politique de dépistage et de lutte contre l’affection dans de nombreuses races prédisposées risque d'être préjudiciable à l'élevage français compte tenu des mesures en vigueur dans les autres pays européens. Il semble donc urgent et important de sensibiliser les clubs de race et les éleveurs concernés au problème que représente la dysplasie du coude.